Détecteurs de pépites : les scouts en embuscade au Maroc

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Silencieux, concentrés, souvent discrets dans les tribunes VIP de Casablanca, Mohammédia ou Berrechid. Carnet à la main, téléobjectif en bandoulière, accréditation frappée du blason de clubs prestigieux : les recruteurs ont investi la CAN U17 CAF TotalEnergies 2025.

Jamais une compétition de jeunes sur le continent n’avait attiré un tel bataillon de chasseurs de talents. Plus de 200 scouts officiellement accrédités, selon les chiffres communiqués par la Confédération Africaine de Football. Un record – et un signal fort : l’Afrique reste ce vivier imprévisible, volcanique, que le football mondial ne cesse de scruter avec convoitise. Anglais, Allemands, Français, Belges, Néerlandais... les émissaires européens ont débarqué en nombre. La matière première est là, prête à éclore.

La planète foot aux aguets

Manchester United, Liverpool, Chelsea, mais aussi le Bayern Munich, l’Atlético de Madrid, Benfica, Porto, Monaco ou Marseille ont tous dépêché leurs éclaireurs sur le sol marocain, bien décidés à dénicher la prochaine pépite africaine.

Mais l’Europe ne détient pas le monopole de la curiosité. Al Ahly (Égypte), le Wydad Casablanca ou la RS Berkane (Maroc) sont aussi sur le pont, tout comme des écuries venues d’Asie, à l’image d’Al Ain (Émirats arabes unis).

Kumordzi, l’œil de Genk : « Ici, on ratisse large »

Parmi les regards les plus affûtés, celui d’un visage familier du foot africain : Bennard Kumordzi. L’ancien international ghanéen, passé par Dijon, Panionios ou encore Genk, scrute aujourd’hui pour le compte du club belge où il a terminé sa carrière.

Présent au Maroc pour observer les talents émergents, l’ex-milieu de terrain partage ses méthodes sans détour : « À Genk, on ne cherche pas un profil unique. L’Afrique est trop riche pour ça. Si tu cadres trop ta recherche, tu passes à côté de la magie. »

Kumordzi affirme avoir vu chaque équipe au moins deux fois, et repéré plusieurs profils à suivre de près. Son critère numéro un ? La vitesse d’exécution. « En Europe, tout va plus vite. Je veux des joueurs qui pensent avant même de recevoir le ballon. »

Q.I foot, mental, technique et morphologie

Le Ghanéen ne s’arrête pas là. Lecture du jeu, comportement sans ballon, capacité d’adaptation tactique, maîtrise technique, et parfois même gabarit : tout est scruté. Une fois le profil cerné, reste à jauger sa compatibilité avec la philosophie du club. « Il doit pouvoir s’intégrer dans le style de Genk, mais aussi rivaliser avec ceux qui sont déjà là. »

Impossible, selon lui, de juger un joueur sur un seul match : « Il m’en faut au moins trois, contre des adversaires différents. Le premier est souvent biaisé par la pression. Un vrai talent, ça confirme dans la durée. »

Une chasse où il faut convaincre

Kumordzi le sait : il n’est pas seul sur les dossiers chauds. La concurrence est rude. « Quand Genk s’intéresse à un joueur que City ou Chelsea ont déjà coché, il faut convaincre autrement. On n’a pas la même vitrine, mais on a un projet. À Genk, les jeunes jouent tôt. Chez nous, le développement passe avant l’image. »

Un argument qui fait mouche dans de nombreuses académies africaines, inquiètes de voir leurs joyaux se perdre dans les rouages d’usines à champions, où la marche vers l’équipe première est souvent vertigineuse.

Formation, lien humain et promesse d’avenir

Dans ce combat feutré, le lien tissé avec les centres de formation, la réputation du club en matière d’accompagnement et le suivi scolaire font la différence. « L’éducation, c’est fondamental. Beaucoup de ces garçons viennent de milieux très modestes. En Belgique, on s’assure qu’ils puissent poursuivre leurs études en parallèle. »

Le Maroc, modèle d’organisation

Si les recruteurs sont venus en masse, c’est aussi pour l’environnement. Avec sa position stratégique, sa stabilité politique et ses infrastructures dernier cri, le Maroc s’impose comme une terre d’accueil idéale pour les compétitions de jeunes.

Stades équipés de systèmes d’analyse vidéo, hôtels proches des sites, logistique huilée : tout est pensé pour faciliter le travail des délégations… et des scouts.

« C’est ma première CAN U17 et je dois dire que je suis impressionné », confie Kumordzi. « L’organisation est remarquable, les infrastructures sont de très haut niveau, et les équipes sont bien préparées. On sent une vraie volonté d’élever le standard. Franchement, tout est réuni pour faire de cette édition une référence. »

Le travail ne fait que commencer

Car pour les scouts, le tournoi n’est qu’un début. Une fois un joueur repéré, il faut creuser : performances en club, environnement familial, entourage, état d’esprit… « Je retourne voir le gamin jouer dans son club. Je veux voir comment il évolue sans la pression d’un tournoi, dans son quotidien. Parce qu’en Europe, il en sortira très vite de cette zone de confort. »

Et le plus dur reste parfois à faire : convaincre le joueur, sa famille, ses formateurs, son académie. Et coiffer au poteau les poids lourds du football mondial.